Le Manuscrit de Dresde
Six volumes de tablatures françaises sont conservés à Dresde par la Sächsische Landesbibliothek, sous la cote D-Dl Ms. Mus. 2841-V-1,1 à 6. D’origines diverses, 34 sonates solos sont rédigées en tablature française pour le luth baroque (à 11 chœurs pour les plus anciennes mais plus généralement à 13 chœurs). Elles sont méticuleusement rassemblées selon leur tonalité dans cinq volumes, auxquels s’ajoute un volume de musiques d’ensemble dont il ne subsiste que la partie d’un seul luth. Toutes les pièces ont été composées par Silvius Leopold Weiss, de 1706 jusqu’à ses derniers jours en 1750. Ces manuscrits sont, pour nous, l’une des plus importantes sources de la musique de ce compositeur.
Un collectionneur a rassemblé ces Sonates copiées méticuleusement ou autographes. Il les a classées selon l’accord des basses du luth et par ancienneté, rangées très soigneusement et, plus tard, reliées. De la main de Weiss, plusieurs annotations tardives au crayon dénotent un âge avancé. Dans les cinq premiers volumes nous reconnaissons trois écritures différentes : celle de Weiss lui-même, celle du compilateur des manuscrits (dont le style de l’écriture semble avoir évolué au cours d’une longue période) et celle d’un troisième copiste, souvent moins attentif et moins précis.
La Sächsische Landesbibliothek acheta ces manuscrits en 1929, lors la vente de la collection de musique du musicologue bibliophile Werner Wolffheim (1877 - 1930). Plusieurs pages furent ensuite détériorées lors des bombardements de la ville de Dresde, en 1945.
Silvius Leopold Weiss (1687-1750)
Silvius Leopold Weiss naquit en 1687 dans la bourgade de Grottkau, proche de Breslau. Son père Johann Jacob, habile luthiste, enseigna à ses trois enfants le jeu de l’instrument ainsi que les règles de l’harmonie ; il les forma à la pratique de la basse continue. Enfant prodige, le petit Silvius Leopold se produisit devant l’empereur Leopold Ie, alors très occupé par sa guerre contre Louis XIV, néanmoins très amateur de musique.
De 1707 à 1714, il séjourna en Italie. À Rome, il rencontra Arcangelo Corelli et se lia d’amitié avec les Scarlatti. Ensuite, il fut vraisemblablement au service du gouverneur de l’Autriche antérieure qui résidait à Innsbruck. En 1718, il obtint un poste lucratif dans l’orchestre de la cour de Dresde.
Une première mission le conduisit pendant huit mois à Vienne où il se mêla à la vie musicale autrichienne, tant à la cour qu’à la ville. La découverte qu’il y fit du style galant marquera dorénavant toutes ses compositions. Il se fixa à Dresde et, même s’il fit encore de nombreux voyages, il y passa le restant de sa vie. Il assura avec brio le continuo à la Cour, à l’Église et, surtout, à l’Opéra. Son jeu et ses improvisations étaient d’une qualité telle qu’il finit par être l’instrumentiste le mieux payé et le plus demandé de la ville ; des incitations financières considérables de la cour de Vienne ne le détournèrent pas de ce poste.
Silvius Leopold Weiss fréquenta les meilleurs musiciens de son temps. Il fut apprécié de princes, eux-mêmes souvent joueurs de luth. Ainsi, entre 1725 et 1730, il fit quelques séjours à Prague pour enseigner son art au Prince de Lobkowitz et à sa femme ou à Johann Antonin Losy von Losimthal (le comte Logy) gouverneur impérial de Bohême ou encore à Ludwig Joseph Cajetan, baron von Hartig, gouverneur impérial de la ville de Prague. Silvius Leopold Weiss rencontra et fit de la musique avec Johann Sebastian Bach à l’époque où celui-ci, résidant à Leipzig, venait visiter son jeune fils Wilhelm Friedmann alors organiste à Dresde. Weiss fut le principal instigateur de modi cations essentielles de l’instrument : l’ajout d’un treizième chœur, puis l’allongement des chœurs graves par un second cheviller qui permit leur montage sur une extension du manche, à la manière du théorbe.
Silvius Leopold Weiss fut un musicien accompli dont les compositions très solides le placent au rang de ses grands contemporains : Johann Sebastian Bach, Georg Friedrich Händel ou Jan Dismas Zelenka. Cependant, il n’a composé que pour son instrument. Sa pratique quotidienne du continuo et de l’improvisation a marqué profondément toute son œuvre. Sa touche se reconnait dans les Préludes non mesurés et dans sa façon savante de développer des marches harmoniques très élaborées. Il exploite toujours avec brio les spécificités de l’accord de cet instrument.
Silvius Leopold Weiss mourut le 16 octobre 1750, laissant dans le besoin son épouse Marie–Elizabeth et ses sept enfants. Seul Johann Adolf Faustinus (1741-1814) suivit les traces de son père et fut luthiste de chambre à la cour de Dresde. Silvius Leopold Weiss fut enterré hors de la ville, dans le Katholischer Friedhof.
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