Le Manuscrit Haslemere
Dans ce manuscrit, un luthiste de Dresde ou de Prague de la deuxième moitié du XVIIIe siècle a rassemblé, vraisemblablement pour son usage personnel ou pour l’enseignement, les tablatures des musiques qu’il jouait. Son instrument de référence était un luth accordé selon l’accord de Ré mineur, tendu de 12 chœurs. Quelques-pièces nécessitent un 13e chœur, mais elles sont peu nombreuses et l’indication du 13e chœur a peut-être été ajoutée ultérieurement. Ce copiste a souvent indiqué un nom du compositeur à côté des titres ; cependant, de nombreuses pièces, dont l’origine devait lui être familière, sont anonymes. Les tablatures, généralement classées par tonalités, sont rassemblées pour pouvoir être jouées en se suivant avec le même accord des bourdons du luth. L’indication d’un regroupement en Suite ou en Sonate est rarement indiqué.
Le manuscrit original est maintenant conservé par la Carl Dolmetsch Library, à Haslemere, en Angleterre ; il porte la cote GB-HAdolmetsch ms II.B.2. Son historique n’est pas clair ; peut-être avait-il fait partie du fonds Fétis, car on sait que Fétis revendit ou échangea plusieurs des nombreuses œuvres qu’il avait achetées.
Au début du XXe siècle, ce manuscrit fut acquit par Eugène Arnold Dolmetsch (1858-1940). Né français dans une famille de facteurs et marchands de pianos, orgues et harmoniums, Arnold Dolmetsch vint à Londres pour étudier la musique ancienne et ses instruments. Il obtint un baccalauréat en musique en 1889.
Il s’installa à Londres. Après avoir fait un peu d’enseignement, il construisit des instruments de musiques à clavier et créa un atelier de lutherie à Haslemere dans le Surrey, où il a construit des copies de presque tous les types d'instrument qui avaient été joués du 15e au 18e siècle.
Silvius Leopold Weiss (1687-1750)
Silvius Leopold Weiss naquit en 1687 dans la bourgade de Grottkau, proche de Breslau. Son père Johann Jacob, habile luthiste, enseigna à ses trois enfants le jeu de l’instrument ainsi que les règles de l’harmonie ; il les forma à la pratique de la basse continue. Enfant prodige, le petit Silvius Leopold se produisit devant l’empereur Leopold Ie, alors très occupé par sa guerre contre Louis XIV, néanmoins très amateur de musique.
De 1707 à 1714, il séjourna en Italie. À Rome, il rencontra Arcangelo Corelli et se lia d’amitié avec les Scarlatti. Ensuite, il fut vraisemblablement au service du gouverneur de l’Autriche antérieure qui résidait à Innsbruck.
En 1718, il obtint un poste lucratif dans l’orchestre de la cour de Dresde.
Une première mission le conduisit pendant huit mois à Vienne où il se mêla à la vie musicale autrichienne, tant à la cour qu’à la ville. La découverte qu’il y fit du style galant marquera dorénavant toutes ses compositions. Il se fixa à Dresde et, même s’il fit encore de nombreux voyages, il y passa le restant de sa vie. Il assura avec brio le continuo à la Cour, à l’Église et, surtout, à l’Opéra. Son jeu et ses improvisations étaient d’une qualité telle qu’il finit par être l’instrumentiste le mieux payé et le plus demandé de la ville ; des incitations financières considérables de la cour de Vienne ne le détournèrent pas de ce poste.
Silvius Leopold Weiss fréquenta les meilleurs musiciens de son temps. Il fut apprécié de princes, eux-mêmes souvent joueurs de luth. Ainsi, entre 1725 et 1730, il fit quelques séjours à Prague pour enseigner son art au Prince de Lobkowitz et à sa femme ou à Johann Antonin Losy von Losimthal (le comte Logy) gouverneur impérial de Bohême ou encore à Ludwig Joseph Cajetan, baron von Hartig, gouverneur impérial de la ville de Prague. Silvius Leopold Weiss rencontra et fit de la musique avec Johann Sebastian Bach à l’époque où celui-ci, résidant à Leipzig, venait visiter son jeune fils Wilhelm Friedmann alors organiste à Dresde. Weiss fut le principal instigateur de modi cations essentielles de l’instrument : l’ajout d’un treizième chœur, puis l’allongement des chœurs graves par un second cheviller qui permit leur montage sur une extension du manche, à la manière du théorbe.
Silvius Leopold Weiss fut un musicien accompli dont les compositions très solides le placent au rang de ses grands contemporains : Johann Sebastian Bach, Georg Friedrich Händel ou Jan Dismas Zelenka. Cependant, il n’a composé que pour son instrument. Sa pratique quotidienne du continuo et de l’improvisation a marqué profondément toute son œuvre. Sa touche se reconnait dans les Préludes non mesurés et dans sa façon savante de développer des marches harmoniques très élaborées. Il exploite toujours avec brio les spécificités de l’accord de cet instrument.
Silvius Leopold Weiss mourut le 16 octobre 1750, laissant dans le besoin son épouse Marie–Elizabeth et ses sept enfants. Seul Johann Adolf Faustinus (1741-1814) suivit les traces de son père et fut luthiste de chambre à la cour de Dresde. Silvius Leopold Weiss fut enterré hors de la ville, dans le Katholischer Friedhof.
Jean-Daniel Forget | Le Luth Doré ©2015