Préface
Une étude sérieuse, profonde et minutieuse d’un instrument de musique peut aussi se conjuguer avec ludisme, joie et passion : quelques belles notes choisies et travaillées avec soin suffisent tout à fait à procurer du plaisir à l’instrumentiste, débutant ou avancé. Le luth baroque, aux XVIIe et XVIIIe siècles, était l’apanage d’un cercle très fermé de nobles et d’aristocrates qui avaient un faible pour le délicat, l’exquis et le sublime. Le luth baroque n’a rien perdu de tout cela de nos jours. Ce qui a radicalement changé, par contre, c’est le fait que cette noblesse qui l’a tant aimé autrefois est aujourd’hui une affaire d’esprit et de culture et non plus une question de titre, permettant ainsi qu’un nombre bien plus élevé de personnes désireuses de jouer de cet instrument, puissent jouir des grâces accordées aux sens par les sons fins et délicats du luth baroque.
La manière d’aborder le luth baroque se distingue de celle du luth renaissance, du fait de considérations techniques et esthétiques. Le luth renaissance est un instrument permettant à la fois le solo et l’accompagnement, alors que le luth baroque est un instrument primordialement à caractère soliste. Cette différence, majeure, implique une approche tout aussi différente. Prenons comme exemple l’instrument « roi » dans l’histoire de la musique occidentale : la voix humaine ! Un chanteur doit, avant tout, travailler la qualité du timbre de sa voix car c’est à travers ce même timbre, particulier et unique à chaque chanteur, qu’il va charmer et convaincre son audience. Au luth baroque, nous devons penser de la sorte : la qualité du timbre produit par nos doigts en pinçant les cordes est la chose la plus importante à maîtriser dès le départ. À cet égard, soyez très patient et persévérant et gardez à l’esprit que nous cherchons l’élégance, le raffinement et la délicatesse, qualités qui devraient vous aider à garder le cap dans vos recherches et dans l’étude de la sonorité du luth baroque. Le son est le miroir de l’âme !
Ceux qui approchent le luth baroque en venant de la guitare classique doivent savoir non seulement que ces deux instruments ne font pas partie de la même famille organologique, mais aussi que l’approche « de l’objet sonore » entre ces deux « cousins lointains » est radicalement différente. Les cordes doubles, leur plus grand nombre et leur faible tension, tout comme la caisse de résonance arrondie, font du luth baroque un autre instrument. Par conséquent, le guitariste avisé doit l’aborder avec modestie et patience. Il faudra, les premiers mois, que celui qui a déjà joué sur sa guitare des oeuvres d’un niveau de difficulté élevé ait l’humilité de repartir de zéro et d’essayer de découvrir les différences qui le séparent de l’univers du luth.
L’apprentissage d’un instrument de musique dans toutes les cultures dites traditionnelles s’est toujours fait par voie orale. Aujourd’hui, et grâce à l’exceptionnel travail de recherche de nombreux musicologues mais aussi par de grands luthistes comme Hopkinson Smith, nous pouvons profiter à nouveau d’un enseignement direct du luth baroque ! Nous encourageons d’ailleurs toute nouvelle recherche dans les sources historiques qui sont à notre disposition, afin de poursuivre le développement de cette « nouvelle tradition luthistique », interrompue il y a plus de 200 ans.
Un livre, ou une méthode, ne pourra jamais remplacer cet apprentissage humain. Un professeur, c’est avant tout une oreille expérimentée, travaillée, sculptée par la matière sonore, et qui est au service de ce que l’élève n’est pas encore capable d’entendre. Cette écoute, précieuse pour la maîtrise d’un instrument de musique, ne pourra jamais être décrite entre les lignes d’une feuille de papier. (1) C’est pour cela que cette méthode, ainsi que toutes les autres écrites auparavant et celles qui sont à venir, ne pourra jamais vous apprendre véritablement l’art de devenir musicien ! À ce propos, Frederick Neumann, musicologue, écrit en 1965, qu’auparavant «... les traités étaient soit inconnus soit ignorés. Puis, l’enthousiasme de leur découverte vers la fin du siècle [XIXe siècle] a incité les musicologues à exagérer leur importance. Cette exagération persiste de nos jours et se manifeste dans la tendance à étendre l’application des traités hors de leur portée légitime, à généraliser trop libéralement des passages isolés, et à considérer comme une loi ce qui n’était que règle générale, sujette à maintes exceptions. » (2)
En revanche, notre Méthode de Luth Baroque peut vous donner les bases techniques et musicales nécessaires à l’obtention d’une structure assez solide et complète du jeu du luth baroque. Et c’est là tout l’enjeu et le défi de l’écriture de cet ouvrage : donner, au plus grand nombre de passionnés, l’opportunité de s’exprimer à travers le luth baroque, et ce, indépendamment de leur niveau d’apprentissage. Notre livre est destiné non seulement à celui qui n’a jamais joué d’un instrument de musique, mais aussi au guitariste avisé qui veut s’initier aux mystères du luth baroque !
Mode d’emploi
Notre Méthode de Luth Baroque est divisée en trois parties.
La première partie, plutôt théorique, aidera à mieux comprendre la façon de jouer la musique écrite pour le luth baroque. Nous avons jugé indispensable d’avoir des connaissances élémentaires de solfège occidental mais aussi de la tablature (forme de notation musicale spécifique au luth). Ces connaissances, insuffisantes si étudiées de manière isolée, ont été enrichies d’un lexique des pièces instrumentales ainsi que de biographies de la plupart des compositeurs de musique pour luth baroque à 11 et 13 chœurs.
En deuxième partie, nous avons dédié tout un chapitre à l’étude de la technique et de la production sonore du luth. Riche en photos et détails de toutes les étapes techniques que nous devrons franchir, ce chapitre est, sans aucun doute, le plus important de toute notre Méthode pour bien comprendre l’univers sonore du luth baroque ! Ensuite, nous vous proposons 21 exercices, tous d’un niveau élémentaire, mais progressifs, accompagnés de plusieurs pièces de musique. Vous allez d’abord jouer des mélodies pour ensuite ajouter les basses, et seulement après commencer à jouer les ornements.
En troisième partie, nous avons choisi près de 250 pièces pour luth baroque à 11 et 13 chœurs. Ces pièces, divisées en trois niveaux, sont d’un degré de difficulté qui s’échelonne du niveau « débutant », « moyen » à « avancé ». Nous avons, tout comme à l’époque baroque, séparé ces pièces selon leurs tonalités et leur nom. Aussi, nous n’avons choisi que très peu de tonalités différentes, afin que le luthiste débutant puisse travailler l’essentiel de son instrument, au lieu de perdre son temps à essayer de s’accorder tout le temps et de jouer des morceaux bien trop complexes pour son niveau. Il n’y a pas de mauvaise musique mais, parfois, il y a de mauvais musiciens ! Faire de la musique n’est simplement pas jouer des notes et réaliser quelques acrobaties, souvent sans intérêt. Un musicien « mûr » se plaît le plus souvent à jouer une simple mélodie et à jouir des merveilles sonores de son instrument !
Nous espérons que cette méthode pourra aider ceux qui n’ont pas accès à un professeur (même si nous leur conseillons d’aller en voir un le plus régulièrement possible), mais aussi tous les professeurs n’ayant pas suffisamment de matériel pour faire travailler, d’une manière systématique, leurs élèves. Bon courage à tous !
(1) « Le développement de l’audition musicale doit être un affinement progressif de la perception du mouvement sonore depuis la perception globale et imprécise, jusqu’à la perception subtile des moindres inflexions du son. » Maurice Martenot, Principes fondamentaux d’éducation musicale et leur application.
(2) Frederick Neumann, Revue de musicologie, T. 51e, No. 1er (1965), pp. 66-92.
© 2008 Miguel Serdoura